DEVENIR EGYPTOLOGUE
L’égyptologue a vocation à servir le développement de sa science, l’égyptologie. Cependant, il peut aussi apporter une contribution à l’ensemble de la société.Depuis sa fondation, au début du XIXème siècle, l’égyptologie a exercé une influence considérable à la fois sur la Recherche et sur l’imaginaire occidental. Comme l’assyriologie, elle a révélé aux contemporains des sources historiques d’une richesse inouïe. En cela, elle a révolutionné l’Histoire. Pour la première fois depuis le Moyen Age, la conscience historique pouvait dépasser les traditions classiques et bibliques.Cette révolution est aujourd’hui un acquis. Elle a entraîné dans son sillage l’engouement passionné des masses. L’Expédition d’Egypte, le Romantisme orientalisant, les collections d’antiquités et les découvertes spectaculaires avaient capté l’attention d’un milieu de plus en plus large. Avec l’exposition Toutankhamon en février 1967, suscitant une affluence sans précédent, et le sauvetage des monuments de Nubie, l’égyptologie a achevé de s’enraciner dans la culture populaire. Ramses II est devenu aussi célèbre que César et Moïse.L’ère des précurseurs étant désormais complètement révolue, quel est le rôle des nouveaux égyptologues ? Que peuvent-ils encore apporter à la société contemporaine ? Il faut se poser ces questions non seulement pour le monde de la Recherche, mais aussi pour l’ensemble du public.L’égyptologie n’a pas encore fini d’apporter des contributions fondamentales à la Recherche. Non seulement cette discipline est un champ de découvertes qui demeure fertile, mais son intégration dans les autres sciences reste aussi à développer.
En premier lieu, les fouilles archéologiques actuelles continuent de mettre au jour des monuments très importants pour notre compréhension de la civilisation égyptienne. Parmi les nombreux chantiers qui attirent l’attention de la communauté internationale, on peut citer ceux de Tell el-Dabaa, du tombeau des fils de Ramses II ou du port d’Alexandrie. Certes, l’exploitation archéologique de l’Egypte arrive à maturité. Les grands sites ont déjà livré de très amples renseignements. Cependant, même les endroits les plus étudiés, comme les temples de Karnak, continuent régulièrement à fournir leur lot de petits trésors archéologiques. On peut notamment mentionner la mise au jour des fameuses « catacombes osiriennes », il y a quelques années. Ainsi, il semble que l’Egypte pourra encore longtemps nous révéler une riche documentation.
En second lieu, force est de constater que l’état présent de la Recherche égyptologique n’a pas toujours pris la place qui lui revient dans l’ensemble des sciences humaines et sociales. Elle reste souvent une discipline « exotique », laissée à l’écart du débat intellectuel. Certes, son insertion dans l’Histoire est maintenant solide, même si le cloisonnement entre Haute Antiquité et Antiquité Classique demeure fortement marqué dans l’enseignement académique. Néanmoins, les autres disciplines ignorent presque totalement les apports de l’égyptologie.
Dans la plupart des grands manuels, philosophie, littérature, droit et économie semblent ne commencer qu’avec la Grèce. L’ouverture d’esprit des spécialistes n’est pas vraiment en cause. Les compétences techniques que requiert l’étude des sources égyptiennes constituent le véritable obstacle. A l’inverse, on peut également dire que la formation égyptologique ne suffit pas pour traiter rigoureusement les questions techniques de toutes les sciences connexes. L’avenir de l’égyptologie se situe donc aussi dans la pluridisciplinarité de la formation des chercheurs.Si la Recherche a pour vocation de créer des spécialités de plus en plus fines, la diffusion de ses avancées est également fondamentale. Or, la relation de l’égyptologue au public non-spécialiste révèle des changements importants dans les finalités du « métier » égyptologique.
Ainsi, les activités de l’égyptologue sont de plus en plus de nature privée ou « privatisée ». Deux facteurs y contribuent. Le premier est le manque de débouchés pour les diplômés. Rares sont ceux que l’égyptologie publique fait vivre. Le second, en amont du premier, est la demande de notre société de loisirs pour les produits faisant référence à l’Egypte ancienne. Nombreuses sont déjà les maisons d’éditions et les sociétés de production audiovisuelle qui ont des consultants en égyptologie. De même, on constate la multiplication des instituts privés dispensant des cours de hieroglyphes, des agences de voyages proposants des circuits accompagnés de conférenciers ou même des simples associations. Il faut aussi citer le flot actuel de romans ayant l’Egypte ancienne pour cadre, et l’invasion des cédéroms « éducatifs ».
Au delà des grands défis scientifiques qu’il lui reste à relever, l’égyptologie a donc tendance à devenir commerciale. Cela permet aux « nouveaux égyptologues » de vivre. Certes, le marché n’a pas les mêmes exigences que la communauté des savants, et il peut nuire à la qualité des travaux. Il faut un garde-fou à la « libéralisation » de l’égyptologie : l’éthique scientifique.
Renaud de Spens.
Conseil de lecture